Créé en juillet 1873 comme bulletin de liaison du Conseil national des pèlerinages, le Pèlerin ne devient l'hebdomadaire que nous connaissons que début janvier 1877, lorsqu'il est pris en main par le P. Vincent de Paul Bailly. Au lendemain de la défaite de 1870 et de la Commune de Paris, la relance des pèlerinages fait en effet partie de l'ambition de réévangélisation, de présence et d'affirmation des catholiques dans l'espace public, qui anime la toute jeune congrégation assomptionniste. Mais fin 1876, le premier Pèlerin est moribond. Il est temps, comme le racontera lui-même le P. Bailly, de lui donner "un manteau neuf".

Son projet : utiliser les journaux populaires, en plein essor, comme moyen de rejoindre les ouvriers chez eux et d'évangéliser. "C'est inconsciemment, écrit-il en 1888, qu'en 1877, on lança dans la presse un petit journal catholique humoristique, le Pèlerin, qui tranchait sur les mœurs graves et un peu compassées des feuilles pieuses du temps et des journaux quotidiens. Le peuple connaissait peu la presse quotidienne catholique, trop magistrale pour lui, peu émaillée de faits divers de la vie, accidents, inventions. Le Pèlerin, rompant avec les traditions, donnait des anecdotes parfois triviales, mais toujours accompagnées d'un trait de vérité, emprunté à l'esprit de foi."

 

La relance de 1877


C'est donc bien un nouveau journal qui paraît le samedi 6 janvier 1877. Le P. Bailly a bien compris ce qu'il faut faire pour capter l'intérêt d'un public populaire et il s'y emploie, annonçant d'entrée le recours à l'illustration car "la prédication faite aux yeux est puissante". Mais le résultat ne convient pas à tout le monde ; dans sa propre congrégation, on trouve inconvenant le recours aux faits divers et la fantaisie de certaines informations publiées indigne d'une congrégation religieuse. Pourtant, si le P. d'Alzon, fondateur de la congrégation assomptionniste, relève que "le Pèlerin plaît parce qu'il donne dans le genre zozo", il apporte cependant son soutien au P. Bailly, qui sait aussi glisser dans ses pages les éléments spirituels et de réflexion qui sont en réalité la raison d'être du journal. "Trop de dessins et de faits divers", grogne le P. Picard, qui succèdera bientôt au fondateur à la tête de la congrégation ; "C'est qu'il faut être peuple pour être lu", réplique le P. Bailly qui aura sans doute apprécié la petite carte de félicitations que lui envoie l'écrivain occitan Frédéric Mistral "pour l'entrain, pour l'esprit" du journal.

Il n'est apparemment pas le seul à apprécier puisqu'il s'avère que la femme du président de la République, la maréchale de Mac-Mahon, et celle du président du Conseil, Mme Dufaure, figurent parmi les abonnées !

En attendant, écrire et fabriquer le Pèlerin n'est pas une mince affaire quand on n'a pas un sou vaillant. Gabriel Strous, qui fut secrétaire du P. Bailly avant d'être quasiment cinquante ans secrétaire de rédaction à La Croix, parle d'un Pèlerin écrit "dans une cellule de la rue François 1er, un pauvre Pèlerin, fait de clichés achetés, au rabais, et presque mendiés", autour desquels Vincent de Paul Bailly écrivait une histoire s'y rapportant, puisqu'il avait promis de ne pas les utiliser comme simple illustration sans rapport précis avec le texte. Un énorme labeur.

 

Le Pèlerin lance La Croix


Ecrivant à son frère Emmanuel, lui aussi assomptionniste, Vincent de Paul Bailly sollicite des articles de ses confrères car, dit-il, "il faut de la variété". Malheureusement, ceux-ci sont plus accoutumés aux longs textes savants qu'à la brièveté et au style enlevé de la presse populaire. Alors c'est lui qui assure, rédigeant presque seul l'essentiel de son journal. Ceci expliquant peut-être cela, le succès fut assez vite au rendez-vous. En dix-huit mois, le Pèlerin pouvait compter sur dix-huit mille abonnés et sans doute une quarantaine de mille en juin 1883. Les lecteurs du Pèlerin furent même la seule base de départ à partir de laquelle commença l'aventure de La Croix, dont les premiers abonnés étaient presque tous des abonnés du Pèlerin.

En 1897, proclamera le P. Bailly, le Pèlerin est adulte. Il a vingt ans, du moins dans sa "nouvelle série". Pour la première fois, et il est aussi parmi les tout premiers sinon le premier en France, l'hebdomadaire catholique paraît avec une couverture en couleurs, ce qui a bien sûr obligé à investir dans une nouvelle rotative capable d'imprimer en couleurs.

L'histoire du Pèlerin ne s'arrête pas là, bien évidemment, puisqu'elle court jusqu'à nous cent quarante ans plus tard. Mais c'est une autre histoire, parfois très agitée, plus souvent paisible, qui témoigne au fil des années de capacités d'adaptation remarquables, tellement le monde et ses propres lecteurs ont changé, décennie après décennie.

Yves Pitette

► Catégorie : Numéro 65