Les_livres

 

► Carnets secrets de la guerre d'Algérie

► Le dernier moine survivant de Tibhirine témoigne

► Le chagrin et le venin



Carnets secrets 

de la guerre d’Algérie

Jacques Duquesne avec Antoine d’Abbundo
Bayard éditions, 24,90 euros

Carnets secrets de la guerre d'AlgérieJournaliste et écrivain, Jacques Duquesne est bien connu à Chapô : il est membre de l’Amicale des Anciens de Bayard. Son dernier livre est consacré à un drame qui n’a cessé de le hanter, celui de la guerre d’Algérie… “Un drame aux incalculables conséquences… La guerre d’Algérie me rattrape, écrit-il en préambule, non qu’elle m’ait jamais quitté… N’ai-je pas vu alors le mal à l’œuvre, le plus grand mal, la torture ?”. Il était alors reporter là-bas pour La Croix. Il avait tout consigné de ce qu’il avait recueilli six années durant, documents, tracts, communiqués, courrier… des dizaines de témoignages, “tout ce qu’un infatigable curieux peut engranger” sur ce qui était vécu par les divers protagonistes.

A 82 ans, cinquante ans après les accords d’évian, ces années d’Algérie lui reviennent en mémoire, des années “d’une violence oubliée aujourd’hui et d’une immense complexité”. Sur ces événements, il avait ficelé et rangé au fond d’un grenier en Corrèze sept gros cartons d’épais dossiers qu’il vient de rouvrir et qui lui fournissent la matière de ces Carnets secrets de la guerre d’Algérie. 300 pages impressionnantes. Année après année, de 1956 à 1962, l’auteur expose brièvement et clairement le contexte du moment, ce qui donne toute leur force aux témoignages publiés, lettres, photos, identités des signataires.(1)

La torture dénoncée tient toute sa place dans ces Carnets mais aussi tout le déroulement du chemin parcouru depuis le “Je vous ai compris” du général de Gaulle, jusqu’aux accords d’évian de 1962. Le livre se conclut par une interview de Jacques Duquesne qui confie avoir eu à affronter alors “le plus grand problème moral de sa vie” : avais-je le droit de dire la vérité sur les actions de certains militaires de mon pays ? J’ai répondu oui parce que j’ai estimé en conscience qu’ils salissaient l’honneur de la France en laissant faire des choses inavouables. Et le seul moyen que j’avais de les empêcher était d’alerter l’opinion. Mais je ne crois pas que les Français voulaient vraiment savoir.”

Michel Cuperly

(1) Surprise, le premier témoignage d’un appelé sous-officier à Sétif, signé “Jacques”, est une lettre adressée à son “vieux René” : deux de mes amis, Jacques Blois et René Castanier, anciens de Jeunes forces rurales, journal de la JAC composé jadis à Bayard.

 


 

Le dernier moine survivant de Tibhirine témoigne

L’esprit de Tibhirine

Frère Jean-Pierre et Nicolas Barret
Seuil. 17 euros.

L’esprit de TibhirineIl s’appelle frère Jean-Pierre Schumacher. Il a 88 ans. Il est le dernier survivant du drame qui a emporté sept de ses frères au printemps 1996 dans le monastère de Tibhirine, en Algérie. Un drame qui a fait l’objet du film magnifique Des hommes et des dieux de Xavier Beauvois et étienne Comar. Retiré depuis lors dans un monastère à Midelt, au Maroc, frère Jean-Pierre a été approché à plusieurs reprises par un journaliste du Progrès de Lyon, Nicolas Barret. De leur entretien en 2011 et 2012 est né ce document exceptionnel, L’esprit de Tibhirine, sur les circonstances de l’enlèvement des moines qui n’a d’ailleurs pas livré toutes ses péripéties finales et sur l’état d’esprit de la petite communauté mise à l’épreuve. “Ce qui n’avait pas été dit sur la nuit du rapt”, frère Jean-Pierre en fait un récit circonstancié, haletant, n’ayant rien oublié de ce qu’il a vécu, lui le portier, réveillé dans cette nuit tragique du 26 au 27 mars.

Il raconte : “En regardant ma montre, j’ai vu qu’il n’était pas encore le moment de se rendre à la chapelle. Le cadran affichait une heure du matin… J’ai bondi de mon lit pour aller à ma fenêtre. Quand j’ai soulevé un coin du rideau, j’ai aperçu une personne se faufiler, avec une arme en bandoulière… Je n’étais pas très rassuré… Je me suis agenouillé pour prier et demander au Seigneur de nous protéger… Il s’est alors passé quelque chose que je n’avais jamais raconté : la poignée de ma porte de chambre s’est mise à grincer. Quelqu’un tentait d’ouvrir sans y parvenir…”. De sa main, avec une fine écriture, frère Jean-Pierre a dessiné le plan du monastère et retracé les étapes de son engagement monastique, depuis l’abbaye de Trémadeuc en Bretagne jusqu’au monastère de Midelt où trois moines “continuent à faire vivre ‘l’esprit de Tibhirine’, une sorte d’avant-garde théologique de la relation islamo-chrétienne dont il serait beau que s’inspirent d’autres chrétiens.”

Michel Cuperly

 


 

Le chagrin et le venin

La France sous l’Occupation, mémoire et idées reçues

Pierre Laborie, Bayard, 21 euros.

Le chagrin et le veninPierre Laborie, l’auteur, est un historien. Il s’est beaucoup penché sur la période 1940-1945. La période des années noires. Une période qui intéresse ceux qui ont un certain âge et qui en ont vécu les péripéties souvent tragiques. Mais qu’en gardons-nous en tête ? Les souvenirs se brouillent parfois et surtout s’installent des idées reçues qui reflètent mal la réalité. à la Libération, c’est la Résistance qui était célébrée, quarante millions de Français résistants ! Une façon de se donner bonne conscience. Il aura fallu attendre 1970 et la sortie d’un long (4 heures) film fameux, Le chagrin et la pitié, d’un certain Marcel Ophuls, pour que l’opinion bascule vers une autre représentation des années noires. La bonne conscience flattée par “le résistantialisme” en vogue était bousculée. Ce fut un choc. Le film n’a été diffusé à la télé qu’en 1981.

En fait, les Français devaient admettre que dans leur grande majorité, pendant l’Occupation, ils se tenaient “dans un attentisme prudent, marqué par une indifférence coupable aux minorités persécutées”. Le balancier de la mémoire allait en sens inverse. Oubliée la Résistance. L’Histoire est plus complexe. Pierre Laborie remet les événements à leur place. Il met à nu le processus qui aboutit “aux simplismes des jugements lapidaires”.

Michel Cuperly