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Livre 76 1Outre-terre

 

Le voyage à Eylau

de Jean-Paul Kauffmann,

Éditions Équateurs, 330 pages, 21,90 euros.

 

C’est son deuxième voyage à Eylau que raconte Jean-Paul Kauffmann. Il avait effectué un premier voyage en 1997. Le 8 février 2007 sera célébré sur place l’anniversaire de la terrible bataille qui opposa la Grande Armée de Napoléon aux troupes russes. Une horrible tuerie, dans une morne plaine enneigée et glacée. Une bataille que les Russes pré-tendent avoir gagnée, qu’ils veulent commémorer et que Napoléon refusera d’avoir perdue. «L’ennemi a éprouvé une horrible boucherie» dira-t-il, mais il aurait pu se l’appliquer à lui-même. À tel point qu’au retour du désastre, l’empereur commandera à des peintres de renom de concourir à la représentation de la scène tragique dans des tableaux, une vingtaine, présentés dans l’ouvrage, toujours exposés notamment au Louvre et à Versailles. L’ancien otage Jean-Paul Kauffmann décide d’emmener son épouse Joëlle et leurs deux fils à Eylau, aujourd’hui située dans l’enclave russe de Kaliningrad, pays étrange annexé par Staline.

Arrivés sur les lieux, en février 2007, ils y rejoignent deux cents personnes tremblant de froid et affrontent une bise glaciale. Des flocons de neige s’accrochent aux habits, aux drapeaux, «exactement le même temps que deux cents ans auparavant». Avec minutie et rigueur l’auteur revisite les lieux, l’église où se tenait Napoléon devenue une usine. L’auteur évoque ce qu’a découvert le chirurgien Percy le lendemain du choc frontal entre les deux armées : «Partout, des excréments, du fumier, des ventres de bestiaux, des chevaux écrasés…». C’est sous son cheval mort que le colonel Chabert a sauvé sa peau, alors qu’on le croyait mort lui aussi lors de la grande charge de Murat, la plus spectaculaire charge de cavalerie de tous les temps. De cet épisode, Balzac tirera un roman: Le colonel Chabert. «Eylau me donne la chair de poule», écrit J. P. Kauffmann, l’événement préfigure pour lui les massacres de masse à venir… «Outre-terre, un livre sur le désastre, les revenants, l’absence… Sur le bonheur d’être vivant». Un style apparemment détaché, mais frémissant. Un bonheur de lecture. Ce captivant récit est paru début 2016. 

Michel Cuperly