Andre Geraud 1

Nous apprenons le décès d'André GERAUD le 22 mai 2017 dans sa 87e année. Il fut, pendant de longues années, rédacteur en chef de La Croix. Les obsèques d'André Géraud seront célébrées mardi 30 mai à 9 h.30 à l'église du Saint Esprit, place Saint Fiacre, à Massy (91300).


En cliquant sur cette ligne vous pourrez accéder à l'article paru dans le numéro 75 de Chapô qui lui avait été consacré.


Article paru sur "La Croix.com" : André Géraud, un laïc engagé


Une réaction de Bernard Porte :

Jeune directeur de La Croix, j'ai fait mes premières armes sous le regard attentif d'André Géraud. Soucieux de l'autonomie et de la liberté des journalistes André voyait d'un oeil goguenard et attentif l'arrivée d'un nouveau responsable. Grâce à l'entregent de Marcel Biard et à la gentillesse de Christian Latu nous avons trouvé assez vite nos marques et j'ai vécu avec lui une collaboration parfois assez rude mais toujours féconde. J'ai apprécié sa rigueur, sa loyauté et son souci permanent du rôle de La Croix. D'autres diront tout ce qu'il a apporté au journal, je voudrais retenir, au moment de lui dire A Dieu, la place essentielle que les journalistes tenaient dans sa responsabilité.

André Géraud fut pour Bayard Presse un grand rédacteur en chef.


Une réaction de Micha Venaille :

Quand on lit une biographie telle celle d'André Géraud, on se sent particulièrement heureux d'avoir travaillé pour Bayard Presse. "Péguy m'a fait"... la sensibilité franciscaine...le christianisme social...


Une réaction de Nicole Boyer :

Durant cinq ans, j'ai été l'assistante d'André. Sous un abord parfois « bourru » se cachait une sensibilité à fleur de peau, une grande humanité. Très attentif aux autres, il savait décelé d'un regard si son interlocuteur avait un souci ; il écoutait, rassurait, conseillait. Jamais il ne restait indifférent. Nous avions gardé le contact et nous nous téléphonions de temps en temps pour parler de la pluie et du beau temps, évoquer des souvenirs de la rédaction et parler... médecine, sujet qui nous passionnait tous les deux. Reposez en paix André.


Une réaction de Jacques Bonnadier :

Cher « Chapô », je fus correspondant de « La Croix » à Marseille entre 1965 et 1995, d’abord sous le pseudonyme de Jacques-Paul Drouet puis sous mon vrai nom : Jacques Bonnadier. Et je dois dire que mes meilleurs souvenirs de ma collaboration au journal sont liés à la période où André Géraud en fut le rédacteur-en-chef. Mes visites à la rue Bayard, seul ou lors des « journées des correspondants », restent dans ma mémoire comme des moments de grande convivialité. J’étais sans doute à ses yeux un collaborateur assez turbulent, volontiers contestataire – mais pas méchant !... Un « Marseillais » dont il s’amusait volontiers, qu’il brocardait souvent, mais un « sudiste » comme lui, ce qui nous rendait quelque peu complices. J’ai aussi beaucoup appris du métier de journaliste grâce aux sollicitations multiples qu’impliquaient alors les fonctions de correspondant régional de « La Croix » et me suis beaucoup enrichi des contacts que j’ai pu, grâce à elles, nouer.

Je conserve pour André Géraud une grande reconnaissance – tout comme aux gens de son équipe : tous les journalistes, bien sûr, les secrétaires que je persécutais de mes appels téléphonique « en pcv »… et d’abord, les chères Andrée Penot et Janine Baron qui assuraient avec une patience d’ange les relations avec les correspondants régionaux.

J’ai pu lui dire ces sentiments dans un échange de courriels en juillet 2016 et j’ai été ému qu’il me dise en avoir été touché.


 Le témoignage de Georges Mattia :

André Géraud

▲ André Géraud chez lui en novembre 2016 (Photo de Georges Mattia)

 

André Géraud l’humaniste

Un ouvrier peut-il devenir journaliste ? André Géraud m’ouvrit grand le chemin providentiel d’une reconversion. Enfant d’immigrés italiens du Frioul établis à Montpellier, j’ai d’abord été apprenti maçon puis mécanicien automobile avec un CAP, tout en suivant mes études secondaires en autodidacte. Grâce à la loi de formation continue de 1971 voulue par Jacques Delors, j’ai pu faire l’Ecole de journalisme de Bordeaux et Sciences Po Bordeaux, puis préparer un doctorat en esthétique et rhétorique de la presse, codirigé par Robert Escarpit en France et Umberto Eco à l’université de Bologne. La Croix, à laquelle j’étais abonné, avait été pour moi, à travers ses grands chroniqueurs, une école parallèle. De 1979 à 1984, André Géraud fit bon accueil à mes reportages et enquêtes sur l’Italie (séismes, terrorisme, mafia, sujets de société) en qualité de correspondant pigiste.

En me nommant en 1984 envoyé spécial permanent à Rome de La Croix et chef de rubrique, André Géraud m’a permis d’intégrer pleinement le journal dont je rêvais. Sous les auspices des autres dirigeants, Jean Gélamur, Jean Potin et Noël Copin, il me confiait le suivi du Vatican, du Pape, de la vie l’Eglise universelle et des actualités italiennes. « Vous serez le premier laïc de l’histoire du journal à porter ce titre », m’avait déclaré avec un brin de complicité celui qui fut le premier rédacteur en chef laïc. La phrase me donna le tournis. « Pourquoi moi ? » leur ai-je demandé, pour tromper mon inquiétude devant si vaste mission. Leur réponse confiante, imparable pléonasme, me rassura à peine : « Vous aurez un regard neuf !» Je succédais au père assomptionniste François Bernard, qui me mit le pied à l’étrier. Ainsi, avec l’humilité du journaliste devant l’événement, j’ai couvert le pontificat palpitant de Jean-Paul II, au jour le jour durant neuf ans, jusqu’en 1992.

 

Une autorité bienveillante

Après La Croix, devenu reporter régional au Midi Libre, j’ai redit mon infinie gratitude à l’équipe de Bayard qui me recruta. André Géraud fut comme un père professionnel, d’une autorité bienveillante, au sens du latin auctoritas et auctor, « celui qui fait grandir ». Fin novembre 2016, il m’avait encore convié à passer une journée à la maison, à Verrières-Le Buisson. Clin d’œil à l’Italie, il m’invita à la pizzeria Borsalino. Avec bel appétit, il commanda un croustillant de chèvre chaud, une escalope à la calabraise et un tiramisu, avec un pichet de Bardolino, suivi d’un vain repentir : « Je ne devrais pas manger tout ça, mais ce n’est pas tous les jours ». Pour lui, l’art de la table était d’abord celui de converser, comme dans les repas familiaux. Il s’enquérait du sort des autres, puis aimait parler de tout, y compris des aléas du bricolage, tirant même une leçon d’un sujet badin : « Un ingénieur n’est pas forcément ingénieux ».

 

Séparer les faits des commentaires

Il me conta ses trente-cinq ans à La Croix, toujours soucieux de séparer les faits des commentaires, distinguo qui fut notre marque de fabrique au journal. « Je suis un parfait dinosaure », rigolait-il, pour mieux évoquer sa « seconde carrière », sa propre formation continue : « J’ai pris ma retraite le 30 septembre 1990 et, le 15 octobre, j’entrais à la Catho de Paris pour préparer une licence et une maîtrise de théologie. Le programme était au top, très varié. J’y ai aussi tout lu Freud ! Puis j’ai suivi un séminaire sur l’œcuménisme, des cours sur l’islam et le bouddhisme. Au total, presque dix ans d’études ! La Catho est à deux pas de Sciences Po, où j’avais été élève avec Jean Boissonnat. J’ai repris le même chemin d’étudiant, ça m’a rajeuni ! ».

« À La Croix, mon père pour l’unité des chrétiens fut Antoine Wenger », me confiait celui qui devint à la retraite Délégué à l’œcuménisme du diocèse d’Évry-Corbeil-Essonnes. Il restait ému par la prise de parole d’un pasteur luthérien aux obsèques de Janine, son épouse.

Au volant de son auto, pour son hôte, il se faisait chantre de sa commune aux figures célèbres comme Malraux, et « très verdoyante » avec l’arboretum et le parc de Vilmorin, la forêt de Verrières, l’église perchée, le centre-ville réhabilité : « Ils ont refait les trottoirs pour mon grand plaisir », relevait l’octogénaire appuyé sur sa canne.

 

Dialoguer avec les lecteurs

Un retour chez lui à l’heure du thé prolongea les retrouvailles : « Je vous sert un Armagnac ? J’ai aussi du Cognac ». Il parla encore de son travail monacal pour réunir la correspondance intrafamiliale de Frédéric Ozanam, « des lettres extraordinaires qui touchent à tous les domaines ». Sans oublier la généalogie, autre passion : « Je suis remonté en gros à l’an 1600. Sur mon arbre des Géraud, j’ai 22 600 individus ! On a fait une cousinade avec 300 descendants ». Et un dernier flash-back sur La Croix : « J’ai créé les pages Forum car le dialogue et le débat avec les lecteurs sont primordiaux », ajouta-t-il, fidèle à l’ouverture par le Concile Vatican II de l’Eglise au monde.

Malgré les embouteillages, André Géraud insista pour me ramener à la gare d’Antony. Pas pressé de voir des robots embarqués aidant les voitures à se faufiler : « Heureusement, j’ai encore un logiciel dans ma tête ! ». Dans l’hiver de ses 86 ans, il doutait de pouvoir tenir la promesse de nous revoir cet été à Rodez autour d’un aligot. « Je n’irai jamais sans doute au Frioul, mais peut-être plus en Aveyron, c’est malheureux ». Pour votre soif et joie d’apprendre, de comprendre et de partager le savoir, votre foi en l’homme, grazie mille, André Géraud !

Georges Mattia