Père André Madec

De "La Croix"
à Jérusalem

Si vous n’avez jamais été représenté à Bayard par un délégué du personnel qui était assomptionniste de son état, c’est parce que le P. André Madec a gentiment repoussé l’offre d’un responsable syndical CFDT qui, raconte-t-il en souriant, “avait oublié, ou affectait d’oublier, que j’étais membre de la congrégation unique actionnaire de l’entreprise”. Ce qui n’empêchait pas pour autant le religieux d’être affilié à ce syndicat. Il faut dire qu’il aurait sans doute fait un bon candidat : faites-le parler de ses douze années passées à Jérusalem après sa première vie à Bayard et vous verrez avec quelle conviction il vous fait vivre ce conflit israélo-palestinien où, souligne-t-il cette fois avec gravité, quoi qu’on dise, quoi qu’on fasse, “tout est toujours compliqué, ambigu, à double tranchant et interprété par les uns et par les autres dans leur propre perspective”.

 

A Juvisy, avec les jeunes novices

On peut appeler ça la retraite, mais pour André Madec, ce fut une sorte de seconde vie. Et quand il sentit la fatigue gagner et demanda à rentrer, que croyez-vous qu’il fit ? Il entreprit de préparer l’expédition en Roumanie de toute une bibliothèque – largement consacrée au monde byzantin et orthodoxe - précédemment rapatriée d’Athènes en France, et destinée au nouveau centre œcuménique ouvert par l’Assomption à Bucarest et pris en charge par un autre ancien de La Croix, le P. Michel Kubler. Aujourd’hui, le très bientôt octogénaire vit dans la communauté assomptionniste de Juvisy-sur-Orge (Essonne), une grande maison en meulière où, avec le P. Patrick Zago, ancien directeur général de Bayard devenu le très organisé archiviste de la province de France de la congrégation, il offre une présence, une expérience religieuse, aux jeunes novices, tout en assurant une partie de l’intendance de la petite communauté.

De gauche à droite : P. Antoine Wenger, aa, rédacteur en chef, Alfred Michelin, ancien président de la Bonne Presse, P. André Madec, aa, P. Louis Le Bartz, aa, secrétaire général, Pierre Limagne, rédacteur en chef adjoint, P. Lucien Guissard, aa, rédacteur en chef adjoint, Marcel Biard, premier secrétaire de rédaction, André Géraud, François Roussel, Jean Boissonnat, Jean Pélissier, un non identifié, Henri Le Pelley-Fonteny.
De gauche à droite : P. Antoine Wenger, aa, rédacteur en chef, Alfred Michelin, ancien président de la Bonne Presse, P. André Madec, aa, P. Louis Le Bartz, aa, secrétaire général, Pierre Limagne, rédacteur en chef adjoint, P. Lucien Guissard, aa, rédacteur en chef adjoint, Marcel Biard, premier secrétaire de rédaction, André Géraud, François Roussel, Jean Boissonnat, Jean Pélissier, un non identifié, Henri Le Pelley-Fonteny.

 

“J’ai eu beaucoup de chance, reconnaît André Madec et je n’ai vraiment aucun regret”. L’Assomption, le huitième enfant d’une famille paysanne du Finistère la rencontre très jeune, lorsqu’il rentre à onze ans dans un “alumnat”, un petit séminaire, de la congrégation. Prêtre en 1959, il est très vite orienté vers ce qui est encore la Bonne Presse. “Chance encore”, ajoute-t-il, ses supérieurs religieux lui “font cadeau de deux années pour s’y préparer”. Il peut ainsi s’initier, à Sciences Po, “à la sociologie religieuse, aux relations internationales ou à la politique, avec des maîtres aussi prestigieux que les professeurs Gabriel Le Bras, René Rémond ou Alfred Grosser”. Il fait aussi des stages à l’Est républicain, à La Croix du Nord et quatre mois à Ouest-France où un collègue, ignorant son état religieux, entreprend… de marier cet élégant célibataire !

 

L’expérience de La Croix-Dimanche

Puis en septembre 1962, il prend la responsabilité de La Croix-Dimanche. “Fondé en 1889, cet hebdomadaire d’une vingtaine de pages répondait en 1962 à l’attente d’un public chrétien qui n’avait pas les moyens financiers d’acheter le quotidien, ni, peut-être, le temps nécessaire pour le lire”. à ses côtés, “un secrétaire de rédaction qui écrivait aussi des articles, l’efficace et chaleureux Albert Malary, puis Jean-François Bouthors et Jean-Charles Duquesne”. Il a aussi pour secrétaire, pendant quatorze ans, “Marie-Françoise Manach qui a fortement marqué tous ceux qui l’ont fréquentée comme délégué syndicale CFDT, décédée à 32 ans après s’être vaillamment battue contre le cancer”. André Madec faisait aussi travailler le mardi, en fin d’édition, “des journalistes du quotidien, tout heureux d’être rémunérés pour des petites piges sur des sujets qu’ils connaissaient sur le bout des doigts”. Des vingt-deux années passées à La Croix, où ses fonctions évoluèrent après que La Croix-Dimanche ait été arrêtée en 1972 et remplacée par la fourniture de pages d’actualité au réseau ANPCP qui regroupe les hebdomadaires catholiques de province, le P. Madec retient d’abord le climat de travail : “Jeune prêtre encore peu ouvert sur le monde, j’ai appris à dialoguer fraternellement avec des laïcs, hommes et femmes, et à travailler en équipe”.

A l'arrière plan, de gauche à droite : Michel Cuperly, Louis Ropars (ancien président de l'Amicale), Noël Copin, André Madec; au premier plan, à gauche, Jacques Buisson.
A l'arrière plan, de gauche à droite : Michel Cuperly, Louis Ropars (ancien président de l'Amicale), Noël Copin, André Madec; au premier plan, à gauche, Jacques Buisson.

 

C’était le temps “d’une grande entreprise-famille. Mon travail m’amenait à être en relation avec l’atelier de composition de La Croix, ruche active où s’activaient dans le cliquetis de leurs linotypes une quarantaine de jeunes femmes formées dans l’entreprise et dirigées avec doigté par des religieuses Oblates de l’Assomption. Mais aussi avec la bibliothèque du P. Monsch, ou l’atelier de photogravure, où Pierre Thébault nous accueillait avec un grand sourire.”

 

A La Croix, ma famillle ; à Pèlerin, nouvelles découvertes

“La Croix, ça a été ma famille, ajoute André Madec, vingt-deux années superbes”. Son transfert au Pèlerin en 1984 est ainsi un véritable arrachement ; même une intervention de Noël Copin auprès du supérieur général de l’Assomption pour le garder au quotidien n’y fera rien. Il a l’avantage précieux d’avoir travaillé, lui, le religieux assomptionniste, avec des rédacteurs en chef laïcs au moment où, pour la première fois, un laïc venu de Ouest-France, Henry de Grandmaison, prend la direction de Pèlerin Magazine à la suite du P. Henri Caro. Cette nouvelle expérience – il est notamment chargé de tout le domaine religieux – lui permet d’effectuer un certain nombre de reportages à l’étranger. “Je ne saurais trop dire ici à quel point la rencontre avec des inconnus ouvre l’esprit et le cœur et pousse à croire en la fraternité humaine et à la vivre”. Certaines l’ont profondément marqué, comme celle de l’évêque rwandais de Kabgaï : “Nous n’avons pas bien su évangéliser nos fidèles”, m’a confié avec humilité celui qui, deux ans plus tard et bien que hutu, a été tué au cours du génocide qui a frappé la population de ce pays”.

Voila pourquoi sans doute, le P. André Madec a surligné dans son exemplaire de la Règle de vie de la congrégation ces lignes importantes : “L’esprit de notre fondateur (le P. Emmanuel d’Alzon) nous pousse à faire nôtres les grandes causes de Dieu et de l’homme, à nous porter là où Dieu est menacé dans l’homme et l’homme menacé comme image de Dieu”.

 

Douze ans à Jérusalem

André Madec à Jérusalem
André Madec à Jérusalem

 

On comprend facilement le pourquoi d’un tel surlignement, lorsqu’on sait que le jeune retraité de 1995 est envoyé tout droit à Jérusalem, à la communauté assomptionniste de Saint-Pierre-en-Gallicante (là ou le coq a chanté), le lieu où l’apôtre Pierre a renié trois fois le Christ au soir de son arrestation. Il y vivra douze ans. L’ancien journaliste est vite sollicité par le Patriarche latin, Mgr Michel Sabbah, qui lui confie son bulletin diocésain, diffusé en français et aussi en anglais. Le voila précipité du même coup au cœur des problèmes, ceux des chrétiens de Terre sainte en premier lieu, et plus largement, des drames que vit cette région depuis plus de soixante ans. “Ce travail ne pouvait que m’intéresser, à condition d’écarter toutes ‘les idées simples’ si je voulais comprendre quelque chose de ‘l’Orient compliqué’ dont parlait de Gaulle, aussi bien dans les domaines religieux que dans l’analyse des situations politiques.” André Madec n’en est pas moins marqué par les épreuves subies par les chrétiens palestiniens, “chômage, pressions et humiliations de toutes sortes, punitions collectives et emprisonnements sans motifs, absence de perspectives d’avenir”. Une situation qui touche aussi, à bien des égards, l’ensemble des Palestiniens. Il “devine et comprend” les craintes du peuple israélien mais regrette “une politique de sécurité excessive” ; il s’interroge sur “les responsabilités d’une communauté internationale” qui n’a jamais vraiment beaucoup fait pour trouver une solution ; il s’inquiète des outrances islamistes du Hamas, lui qui connaît “le peuple palestinien, très instruit et pacifique.”

 

Un octogénaire alerte

Retraité, disiez-vous ? Celui qui depuis deux ans a accepté de succéder au P. François Morvan pour accompagner l’Association des Anciens de Bayard-Presse, comme il a travaillé trente-deux ans avec eux à La Croix et au Pèlerin, promet d’être un octogénaire fringant qui n’a pas perdu ses habitudes et sa conscience professionnelles. “Un entretien avec Chapô ? Mais avec plaisir. Laissez-moi tout de même le temps de me préparer”. Quatre jours de quasi retraite ! Mais quel bonheur pour l’intervieweur : toutes les réponses sont déjà prêtes, réfléchies, pesées. Car s’il vous dit avoir perdu la main, qu’il ne rédige plus que de brèves homélies, ne croyez pas que le P. Madec ait perdu ses réflexes de journaliste : il sait les questions que vous allez lui poser. Puis peu à peu, l’entretien serpente, se détend et le texte qu’il a pris soin de préparer devient alors ce qu’il est, le support d’une conversation cordiale et confiante. Du Madec, quoi.

Yves Pitette

Article paru dans Chapô N° 57, 4e trimestre 2011.