Madeleine Moreau 01"Une autodidacte

qui a bien mené

sa barque"

 

D'emblée, Madeleine se déclare autodidacte ! Ayant, en effet, quitté le monde des études proprement dites "afin de faire comme ma sœur aînée, car je manquais d'imagination...", c'est-à-dire pratiquer la couture, elle se retrouve ainsi, après le brevet, dans une école qui n'existe plus aujourd'hui mais qui était spécialisée dans la formation des "dames" devant faire hon-neur à leurs hommes d'affaires et cadres de maris, en sachant tout faire, et en le faisant avec élégance. Madeleine, par les hasards de la guerre et des postes professionnels de son père, s'est ainsi trouvée propulsée dans un certain milieu, qui ne représentait nulle ambition de sa part, mais lui a permis de devenir une parfaite maîtresse de maison, cuisinant avec raffinement et cousant si parfaitement qu'elle a habillé toute sa famille pour le mariage d'une de ses sœurs... Mais il ne s'agissait pas d'un métier. Elle est donc entrée dans une maison d'édition de mode, au service publicitaire, sans vocation pour le secrétariat. 

 

La pub, j'ai voulu voir ça de plus près

"Travaillant pour un secteur de publicité, j'ai voulu voir de plus près de quoi il s'agissait. J'ai donc préparé en cours du soir un BTS." Ne connaissant que l'un des aspects de la publicité, elle a voulu aller plus loin et savoir comment se gérait un budget. La voilà donc, après la mode, lancée dans une agence de publicité axée sur le machinisme agricole ! Finalement, ce qui l'intéressait dans la publicité, c'était l'étude des motivations. Et, déjà, Bayard se profilait sans qu'elle le sache.

En 1969, elle rencontre Roger Lavialle, alors son voisin dans cet immeuble de Boulogne-Billancourt qui a donné à La Bonne Presse jusqu'à dix employés dans le même temps, et dont Roger Lavialle n'était pas le moins important. "Il me proposa, sans que je ne lui ai rien demandé de précis, un poste de secrétaire pour l'un des directeurs de la Maison. J'ai donc rencontré Claude Bourçois. Je lui ai fait sentir que je voulais sortir du secrétariat... et je lui ai dit : «l'homme me conviendrait bien, mais pas le poste !». Et je suis retournée à mes machines agricoles".

"Six mois plus tard, nouvelle proposition. Cette fois, il s'agissait de deux mi-temps, dont l'un était... du secrétariat. Mais l'autre me tentait bien davantage : les études commerciales. Et en mars 1970, je suis arrivée chez Jean-Marie Brunot."

Madeleine Moreau 04

 

Voyage à travers Bayard

"Pendant trois ans, on s'est arrangé. Les études commerciales prenaient le pas sur le secrétariat. Plus tard, l'équipe s'est enrichie de deux personnalités : Anne Coudreau et Marie-Noëlle de Metz, sous la houlette de Mark Chorna, qui se présentait lui-même comme un «juif américain», arrivant à Bayard avec des idées novatrices sur le développement commercial. C'est ainsi que l'étude qui a précédé le projet d'Astrapi est sortie des techniques de créativité. Je suis restée dans ce secteur pendant six ans."

"Ensuite, pendant quatre ans, j'ai été liée aux réabonnements de toutes les publications. Le projet était de chercher à améliorer le taux de réabonnement sur le million d'abonnés de l'époque. Je me trouvais coincée entre l'informatique et les titres qui avaient chacun leur politique de réabonnement. J'ai fini par «caler» !"

"En même temps (de 1972 à 1976), j'ai fait partie du comité d'entreprise, ce qui m'a permis d'avoir sur Bayard un regard plus ouvert, par le contact avec les divers services. Le comité d'entreprise aura été pour moi un observatoire d'où j'ai mieux compris les mécanismes de la Maison et d'où aussi je suis "sortie"de cette entreprise : nous sommes allés, par exemple, en tant que comité d'entreprise, à la manifestation des employés de l'usine horlogère LIP. Un autre regard sur cette société aussi : quand je suis entrée à Bayard, c'était entrer dans "la grande entreprise". A l'extérieur, on m'a détrompée... Une grande entreprise, m'a-t-on dit alors, c'est plusieurs milliers de salariés... Il n'empêche, j'étais salariée d'une société qui comptait dans le monde de la presse et l'édition !"

 

Escale à la "formation permanente"

Le désir de changer de travail coïncidant avec cette "saturation", Madeleine va trouver Claude Bourçois, toujours très attentif, dit-elle – et arrive au service de formation permanente. "Cette période, entre 1981 et 1989, a été une bonne période. Je me suis rendue compte, à travers ce travail que, finalement, j'aurais aimé m'investir dans l'orientation. Je le ressens très fortement aujourd'hui... J'ai eu, à ce moment-là, à assurer la reconversion de quelques employés du service clients, dont Kim Le Van Van qui avait choisi le stylisme et que j'ai longtemps recherchée... J'ai œuvré avec enthousiasme à ce poste malgré la difficulté liée à la diversité des services et du fait que l'entreprise n'avait pas vraiment de politique de formation."

Elle insiste sur la qualité des relations entre collègues dans ce service : "Les relations étaient très chaleureuses et l'humour n'en était pas absent. Ainsi nous avions, à l'arrivée de Catherine Cédat qui recevait les candidats dans un couloir, fait un appel à tous les occupants du 4e étage, quel que soit leur poste, afin d'organiser une occupation tournante de leur bureau... Appel parfaitement compris !" Madeleine a toujours ressenti comme un frein le fait d'être autodidacte. Ce sentiment l'a sans doute empêchée de manifester sa pleine dimension dans les différentes fonctions qu'elle a occupées. Cependant, c'est sans amertume qu'elle a accepté l'appréciation d'un jeune nouveau venu dans la Maison : "Un certain jour, nous arrive à Bayard un jeune «loup». La politique de la Maison, à l'époque, était de dire : c'est quelqu'un qu'il ne faut pas perdre. Donc ce jeune est arrivé dans le secteur de la Direction. J'ai oublié son nom, mais je me souviens qu'il venait du Nord. Il a fait le tour des services et a estimé que je n'avais pas la carrure : c'est vrai que je n'étais pas à l'aise face à des universitaires et que ça devait se sentir. Bref, il est arrivé à Bayard avec celle qui a pris ma suite..."

 

Dernier retournement : le Courrier des lecteurs de Notre Temps

"Je retourne donc trouver Bourçois. En examinant ce que j'aimerais bien faire, nous avons découvert que la documentation m'attirait. Et c'est comme ça qu'il a été entendu que je travaillerai avec Marguerite Géry, dans la perspective de prendre sa suite au Courrier des lecteurs de Notre Temps – qui était à l'époque installé rue de l'Amiral d'Estaing – avec une mission particulière sur le minitel et son utilisation. Je me suis donc reconvertie une nouvelle fois. à 55 ans, j'ai repris une formation. Je me suis retrouvée dans un bureau ouvert à tous, avec entre autres, Catherine..., une jeune documentaliste. Ce n'était pas très confortable, dans ce bureau sans séparation entre les diverses tâches. Mais j'en garde un très bon souvenir. La documentation est quelque chose de très intéressant, et j'appréciais beaucoup l'équipe, en particulier Joseph Crozon. Et Marguerite Géry ne m'a jamais fait sentir que je n'avais pas son niveau d'études. Temps difficile mais temps très riche. Absolument différent de tout ce que j'avais connu dans ce parcours sinueux..."

Madeleine Moreau 03

Et Madeleine de constater : "Je suis passée de la publicité pour la mode aux techniques des machines agricoles, d'un service abonnements à la formation permanente pour aboutir au Courrier des lecteurs de Notre Temps, où j'ai terminé mon temps de salariée. Partout, j'ai travaillé dans l'enthousiasme et avec intérêt. J'ai pratiqué ce que l'on appelle dans l'aviation acrobatique le "retournement"! Bayard était, en ce temps-là, une entreprise où l'on travaillait sur la longue durée, où l'on pouvait vraiment s'investir ; c'était une époque où il était possible d'avoir, au travail, de vraies relations, vivre dans une réelle convivialité."

 

Les Savoirs échangés

Et maintenant ? Madeleine est aussi organisée qu'elle est active : "J'ai pensé à ma retraite un an avant de la prendre. J'avais toujours en tête la formation et la documentation. C'est dans cette optique que je me suis tournée vers une association qui venait de se créer à Boulogne : Les Savoirs échangés. Je m'y suis engagée avec beaucoup de conviction et riche de toutes mes expériences professionnelles. J'y acquiers des éléments de bureautique et j'anime un atelier de couture. Nous y formons un petit groupe qui "papote" autant qu'il pique à la machine ! Et j'ai la joie de réaliser ce vieux désir : transmettre, former, orienter... Et là, plus question de hiérarchie : chacun échange ce qu'il connaît, petit ou grand savoir, sans que l'équivalence intervienne dans la réciprocité."

"D'autres occupations associatives ou familiales habitent mon temps et je puis dire qu'après avoir été heureuse rue Bayard, je le suis sur les chemins de la retraite."

Recueilli par Andrée Penot