Les livres

► Le grand dérangement

► Entre deux mers, voyage au bout de soi



Livres 1Le grand dérangement

de Jean Anglade

Calmann-Lévy, 17,50 euros.

 

“L’inédit de ses cent ans”, annonce Calmann-Lévy dans la présentation du dernier roman de Jean Anglade, sorti en mars 2015. Car c’est le 18 mars 1915, dans un petit coin du Puy-de-Dôme, qu’est né son auteur toujours en verve, toujours pétillant de malice. Quel long chemin parcouru par cet autodidacte ! Orphelin de guerre à un an, élevé par une mère domestique et un beau-père charretier, il ne peut continuer ses études par manque d’argent. Ce qui ne l’empêchera pas de devenir instituteur, puis professeur de lettres et agrégé d’italien et de se lancer dans l’écriture. De ses origines modestes, il garde le goût des petites gens de son Auvergne natale. Nombre de ses ouvrages, il y en a une centaine ! – essais, histoire, bibliographie, roman – racontent la vie ordinaire de ces Auvergnats anonymes.

Le Grand Dérangement, c’est celui de Guillaume, barbier-coiffeur de son état, au Chambon-sur-Lignon, village reculé de la Haute-Loire, enclave huguenote au cœur de l’Auvergne catholique des années soixante. Il vit heureux dans sa commune, un modèle de bon voisinage avec son église qui sert aussi de temple. Sa clientèle protestante apprécie l’habileté et le langage haut en couleur de leur coiffeur papiste. Jusqu’au jour où un terrible drame pousse Guillaume, sa femme et ses trois enfants à partir. Partir oui, mais pour aller où ? S’en remettant au hasard, la petite famille se retrouve à Saint-Pierre-et-Miquelon. Là-bas, au large du Québec, ils vont reconstruire la vie harmonieuse à laquelle ils aspirent… Jean Anglade nous entraîne, avec sa truculence habituelle, dans des paysages grandioses, à la rencontre de personnages chaleureux. Une nouvelle réussite pour cet alerte centenaire qui nous livre là un hymne à la tolérance.

Monique Masson



Livres 2Entre deux mers

Voyage au bout de soi

d’Axel Kahn

Stock, 250 pages, 19 euros


Comme en 2013, Axel Kahn a parcouru, au printemps 2014, la France en diagonale : depuis la Pointe du Raz, en Bretagne, jusqu’à Menton et la Méditerranée, cette fois. Un nouveau périple beaucoup plus périlleux que le précédent qui avait conduit le voyageur des Ardennes au Pays basque, hors de tout chemin balisé, soit 2 057 km parcourus en solitaire, gravissant au total 43 000 mètres et en descendant autant. Mais c’est moins l’exploit sportif mettant à rude épreuve la carcasse du voyageur qui rend passionnante la lecture du récit de cette aventure que les coups de cœur, cette “étreinte charnelle, amoureuse” avec les territoires traversés, que nous livre ce grand scientifique. Rien n’échappe au regard de l’éminent biologiste, contemplatif érudit devant paysages, monts, lacs, burons, pâtures et villages, en en faisant surgir l’histoire au passage, poète ébloui aussi par la moindre fleur, avançant sur “des pelouses parsemées d’orchidées sauvages aux coloris inouïs” qui le plongent “dans l’extase”.

C’est aussi la rencontre avec les hommes et les femmes, des habitants des lieux ouvrant avec plaisir leur porte, mais aussi saisissant l’occasion de livrer à leur hôte illustre leur vif attachement à leur sol. C’est un véritable dynamisme des populations des régions traversées qu’Axel Kahn nous fait ainsi découvrir, dynamisme particulièrement sensible depuis la Bretagne, affrontée à la transformation de son modèle, développement pour “le réorienter non plus vers la seule quantité mais aussi vers la spécificité et la qualité supérieure. Les Bretons possèdent selon moi, note-t-il, la capacité d’entreprendre une telle réorientation”. Une observation d’optimisme faite également dans le Sud-Est, optimisme qui tranche avec ce qu’Axel Kahn avait ressenti dans le précédent périple dans les régions du Nord-Est, accablées par des vagues de désindustrialisation(1). De riches réflexions sur l’état de la France réelle, sur ses atouts, ses espoirs. L’humour dont fait preuve l’auteur sur lui-même au fil des péripéties (d’où le sous-titre “voyage au bout de soi”), ajoute au plaisir du lecteur.

Michel Cuperly

(1) Axel Kahn, Pensées en chemin, ma France des Ardennes au Pays basque, au Livre de Poche.