Les livres

► Notre Chanel

► Immortelle randonnée


Livres 69 1Notre Chanel

de Jean Lebrun, Bleu autour, 280 pages, 20 euros.

Le bandeau de ce livre ne passe pas inaperçu : "Goncourt de la biographie 2014" : rien moins que cela ! On se pressait devant le stand de Jean Lebrun, lors du Salon de la biographie de Chaville de septembre 2014 pour arracher une dédicace de ce Notre Chanel (1). L'auteur avait fait sensation lorsqu'il avait pu présenter l'ouvrage, peu de temps auparavant, à l'émission de François Busnel, La très grande librairie, sur France 5. Une nouvelle bio pour cette Coco Chanel ? Tant de livres n'ont-ils pas déjà été publiés sur cette modeste couturière qui, au fil des ans, acquit une célébrité mondiale dans la mode féminine, avec son tailleur de tweed et, dans le monde des parfums, avec son No 5 ?

Tout n'avait pas été dit sur la vie de Gabrielle Chanel, loin de là. Avec son ami Bernard Costa, Jean Lebrun, historien, journaliste, ancien chef du service Culture du quotidien La Croix, auteur de plusieurs essais sur le journalisme et producteur de l'émission La marche de l'histoire sur France Inter, a entrepris de faire revivre, à partir d'une longue quête sur le terrain, les péripéties étonnantes et souvent dissimulées de cette "insaisissable Chanel". Des débuts plutôt misérables : "Ils étaient dix-neuf rejetons dans la fratrie", du père qui, une fois veuf, plaça ses filles dans un orphelinat du monastère d'Aubazine, en Corrèze. C'est là que commence l'incroyable parcours de Gabrielle Chanel, que déroulent d'un lieu l'autre, nos deux limiers. Découvertes multiples auprès de ceux qui ont approchés Chanel, mise à jour de documents, descriptions (et photos) de cadres de vie insoupçonnés, des récits relatés avec un talent d'écrivain-conteur. Où l'on voit comment "l'héroïne" va (pas toujours) de succès en succès, de Pau et Biarritz, d'un château à l'autre, Corbère, Le Mesnil-Guillaume, l'arrivée à Paris et la Belle époque, la rue Cambon, le Ritz, des ateliers usines. Mais surtout, la rencontre avec une étonnante diversité de personnages. Des relations qui pendant la Seconde Guerre mondiale la conduiront à se lier à la fois d'un côté avec l'entourage de Churchill et, de l'autre, avec des nazis, dont l'un, Schellenberg, condamné au procès dit des successeurs de Nuremberg, a pu bénéficier de l'aide financière de Chanel. Sa tombe est à Lausanne.

A plusieurs reprises, au fil de cette enquête, Jean Lebrun dévoile avec pudeur la dégradation puis le décès ar le sida de son ami Bernard Costa qui lui avait confié : "Dis, notre livre, tu l'écriras ?".

Michel Cuperly

(1) Parmi les 80 biographes exposant à ce Salon : Bernard Lecomte, pour son Gorbatchev (Ed. Perrin).
Trois anciens chefs de service de La Croix se croisaient ainsi ce jour-là : Jean Lebrun (Culture), B. Lecomte (étranger), M. Cuperly (économie).


Livres 69 2Immortelle randonnée

Compostelle malgré moi

de Jean-Christophe Rufin, Guerin éditions, 200 pages, 19,50 euros.

Un livre de plus sur Compostelle ! Oui, mais celui-ci est de Jean-Christophe Rufin, membre de l'Académie française. Autrement dit, écrit d'une plume exquise qui ouvre au plaisir de lire.

L'auteur a choisi le chemin du Nord, le chemin côtier réputé le plus difficile, le moins bien balisé. Il longe les côtes basque et cantabrique, traverse les montagnes sauvages des Asturies et de Galice. Plus de huit cents kilomètres à affronter pour le Jacquet solitaire qui a choisi ce chemin.

Il ne s'y est pas engagé dans un but religieux : "à l'origine, j'avais simplement décidé de faire une grande marche solitaire. En partant pour Saint-Jacques, je ne cherchais rien et je l'ai trouvé." Mais peu à peu, cette "immortelle randonnée" devient pour lui une épreuve humaine et spirituelle : "Il faut que le pèlerin soit enfin seul et presque nu, qu'il abandonne les oripeaux de la liturgie pour qu'il puisse monter alors vers le ciel." Ce dépassement, l'auteur le trouve dans le Chemin qui s'impose à lui : "Il est une force. Il s'impose, il vous saisit, vous violente et vous façonne. Il ne vous donne pas la parole mais vous fait taire. Chaque fois qu'il s'est agi de prendre une décision, j'ai senti le Chemin agir puissamment en moi et me convaincre, pour ne pas dire me vaincre."

En conclusion, Jean-Christophe Ruffin avoue : "Je ne saurais pas expliquer en quoi le Chemin agit et ce qu'il représente vraiment ; je sais seulement qu'il est vivant et qu'on ne peut rien en raconter, sauf le tout."

Une magnifique expérience à partager, un beau récit de voyages plein d'humour, d'humilité et d'humanité :qui a le goût de la bonne littérature ne sera pas déçu !

Monique Masson